(Cour de cassation, 4 novembre 2020, FS-P+B, n° 19-50027)
L’on sait qu’en vertu de l’article 21-2 du code civil, l’étranger qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans, acquérir la nationalité française à condition qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage.
La communauté de vie affective est-elle soluble dans une « double vie » ?
Il n’est point besoin du regard d’un Labiche ou d’un Feydeau pour constater que la situation de l’époux trompé par son conjoint volage a toujours suscité chez nos congénères autant de rire et de sarcasmes qu’une certaine tolérance bienveillante, pour peu que la « communauté de vie » – et au travers elle la famille- ne soit pas altérée par ces coups de canifs dans le contrat de mariage.
Un arrêt récent de la Cour de cassation révèle que cette conception n’est pas celle partagée par les hauts magistrats.
Dans cette affaire une femme de nationalité algérienne avait contracté mariage en 1998 en Algérie avec un Français, mariage retranscrit sur les registres de l’état civil en 2007. Son conjoint français, en 2010, contracte une seconde union -cachée- en Algérie. Bien que le mari se soit retrouvé ainsi en situation de bigamie, la communauté de vie n’a jamais cessé avec sa première épouse, laquelle décidait par conséquent de souscrire -plus de quatre ans après son mariage- une déclaration de nationalité française qui lui fut accordée sans difficulté
Plus de deux ans après, le Parquet décide d’exercer une action en nullité du mariage. Non pas pour bigamie en tant que telle -l’exception de polygamie, obstacle entre les mains du du préfet à la demande d’obtention de nationalité française (article 24-1) ne pouvant plus à cette époque être invoquée- mais parce que l’état de bigamie de son conjoint excluait, à ses yeux, toute réelle « communauté de vie » au sens de l’article 21-2 du code civil.
Par deux fois, le tribunal de Lille, puis la cour d’appel de Douai l’ont débouté. Ils ont estimé que dès l’instant où la réalité et la persistance de la vie commune étaient remplies puisque les époux vivaient ensemble et avaient fondé une famille comptant de nombreux enfants, la condition de « communauté de vie » était remplie.
Le ministère public ne désempare pas et forme un pourvoi en cassation en soutenant à titre principal une fraude justifiant la nullité de la décision d’octroi de la nationalité accordée à la requérante, fraude pourtant difficile à retenir en l’espèce puisque l’épouse française ignorait absolument tout de la double vie de son mari lors de sa demande d’acquisition de nationalité dont elle remplissait toutes les conditions.
La cour de cassation n’en a pas moins annulé le mariage en se fondant sur un autre terrain : « La situation de bigamie d’un des époux à la date de souscription de la déclaration, qui est exclusive de toute communauté de vie affective, fait obstacle à l’acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger »
L’arrêt est porteur de deux enseignements.
Le premier est que l’épouse algérienne, mère d’une famille de cinq enfants vivant en France, n’a jamais été pour sa part bigame ni avant ni après sa demande de nationalité. Elle est sanctionnée en raison d’un état de bigamie occulté par son époux qui, selon la cour de cassation, faisait obstacle à l’existence d’une « communauté de vie affective » dès le jour où la demande d’acquisition de nationalité française a été présentée.
Le second enseignement est que pour la Cour Suprême, toute forme de bigamie est incompatible avec la notion de « communauté de vie » non seulement matérielle – puisque cette condition était remplie ici- mais encore affective.
L’on quitte ici assurément le terrain proprement juridique pour laisser chacun libre de sa propre appréciation de ce que devrait être une vie maritale et des situations qui lui seraient antinomiques : un mari bigame, même vivant quotidiennement aux côtés de sa première épouse avec laquelle il a de nombreux enfant, est-il, de facto, en rupture de vie « affective » avec celle-ci du seul fait qu’il a contracté une autre union ?