« Tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par le fait duquel il est arrivé à le réparer ». Article 1382 hier, 1240 depuis la réforme entrée en vigueur le 1er octobre 2016, tous les juristes connaissent ce texte. Le principe est identiquement posé en matière contractuelle (article 1231-1).
Si la gravité de la faute peut être source d’obligations à réparation aggravée en certaines matières (faute lourde du transporteur, faute grave ou faute inexcusable en droit du travail etc.) en revanche, la minorité de la faute ou le contexte lequel elle a été commise ne constitue pas des causes exonératoires. Que la faute soit bénigne ou non, qu’elle soit volontaire ou involontaire, l’obligation à réparation s’impose dans les mêmes termes : le fautif doit réparer le préjudice. Rien que le préjudice, mais tout le préjudice.
Un arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2022 mérite à ce égard d’être signalé en ce qu’il considère que l’intervention bienveillante pour aider la victime -l’arrêt parle de convention d’assistance bénévole- n’est pas exclusive d’une action en responsabilité contre celui dont l’action, révélatrice d’une faute, a été à l’origine d’un préjudice subi par le bénéficiaire de l’aide bénévole :
« Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure a celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
4. en présence d’une convention d’assistance bénévole, toute faute de l’assistant, fut-elle d’imprudence, ayant causé un dommage a l’assisté est susceptible d’engager la responsabilité de l’assistant.
5. pour rejeter les demandes de m. [o] et de son assureur, après avoir relevé que l’utilisation de la lampe à souder avait causé l’incendie, l’arrêt retient que la responsabilité de m. [k] s’apprécie au regard de la commune intention des parties qui exclut qu’en présence d’une convention d’assistance bénévole, l’assistant réponde des conséquences d’une simple imprudence ayant cause des dommages aux biens de l’assisté qui était tenu de garantir sa propre sécurité, celle de ses biens et celle de la personne à laquelle il a fait appel.
6. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. 1re civ., 5 janv. 2022, n° 20-20.331, publie au bulletin).
La solution est-elle juridiquement et moralement justifiée ?
Juridiquement, l’obligation à réparation parait faire peu de doute au regard de textes -les articles 1230 et 1231-1 du code civil nouveau- mais surtout d’une jurisprudence qui exclut toute forme d’exonération qui tiendrait au contexte dans lequel le fait fautif s’est réalisé. La responsabilité est engagée dès lorsqu’un fait objectivement fautif a été commis, qu’il soit volontaire ou involontaire, une simple imprudence suffisant à engager la responsabilité de son auteur (Cass. 2e civ., 10 juin 1998, n° 96-19.343).
Sur le terrain éthique, la décision est peut-être plus contestable. Non qu’il faille considérer que toute personne qui accepte l’aide bénévole d’autrui renonce par la même et par avance à engager son éventuelle responsabilité en cas de faute d’imprudence qui lui causerait un dommage. Il reste qu’à l’image, par exemple, du droit pénal -qui applique le principe de personnalité des peines- ou des procédures disciplinaires ayant pour but de sanctionner un individu fautif, on pourrait imaginer que notre droit de la responsabilité civile tienne compte du contexte dans lequel les faits ont été commis pour moduler le montant de la réparation.
Or pour l’heure, la Cour de cassation reste inflexible sur le principe suivant lequel le montant du dommage doit être ajusté sur le préjudice effectivement subi, toute réduction tenant compte du comportement de l’auteur de la faute étant prohibée, hormis le cas où ce comportement serait lui-même en lien de causalité avec le dommage. Bien plus, la cour de cassation a conçu un principe suivant lequel l’auteur du dommage doit en réparer toutes les conséquences « la victime n’étant pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable »» ( Cass. 3e civ., 10 juill. 2013, n° 12-13.851).
Seules quelques matière échappent à la logique simpliste du droit de la responsabilité qui ressort des arrêts de la cour de cassation. Ainsi et pour n’en retenir qu’une, est-il admis aujourd’hui qu’une cour d’appel qui prononce l’annulation d’un contrat de construction d’une maison individuelle avec fourniture de plan doit rechercher, lorsque le constructeur s’y oppose, si la démolition de l’ouvrage constitue une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectent (Cass. 3e civ., 15 oct. 2015, n° 14-23.612, Bull. 2016, n° 837, 3e Civ., n° 293).