
Selon l’article 61-1 de la constitution, qui est relatif aux effets d’une disposition invalidée à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision.
Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».
L’effet d’une abrogation est d’anéantir, pour l’avenir, la disposition frappée de caducité.
Le second alinéa du texte confère à ce sujet au Conseil constitutionnel un pouvoir de « modulation » -que connait à des degrés moindres la Cour de cassation- lui permettant, notamment, de reporter à une date qu’il fixe les effets de l’abrogation de la disposition invalidée, et ce afin d’éviter que la déclaration d’inconstitutionnalité porte trop brutalement atteinte à des situations acquises, mais aussi de laisser au législateur le temps nécessaire pour remédier au vide juridique laissé par l’abrogation du texte.
En réalité, la pratique montre une extrême variété de solutions que le Conseil constitutionnel s’est efforcé de dégager en raison de la grande diversité de situations que l’inconstitutionnalité d’un texte peut appeler à traiter.
Tout d’abord, selon la formule consacrée dès la décision no 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, « une déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la QPC », ce que le Conseil justifie par la nécessité de donner « un effet utile à la QPC pour le justiciable qui l’a posée » (Cons. Const., déc. no 2009-595 DC du 3 décembre 2009, cons. 17)
Le pouvoir dit de modulation dont use le Conseil le conduit ensuite à osciller entre juridisme et pragmatisme.
L’inconstitutionnalité peut être réservée aux instances en cours à la date de la publication de la décision « et dont l’issue dépend des dispositions déclarées inconstitutionnelles » (Const., déc. no 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010, no 2010-33). Elle peut être limitée aux instances en cours dans lesquelles une partie a « invoqué le moyen d’inconstitutionnalité » ou l’invoquera, si elle peut encore le faire (Cons. Const., déc. no 2010-110 QPC du 25 mars 2010, no 2012-250 QPC du 8 juin 2012).
La déclaration d’inconstitutionnalité peut être cantonnée à la cessation des effets produits par les décisions antérieures à la publication de la décision du Conseil constitutionnel, sans pour autant que ces décisions puissent être considérées comme illégales (no 2010-81 QPC du 17 décembre 2010).
L’abrogation peut être enfin suspendue jusqu’à la survenance des nouveaux textes qui seront applicables aux instances en cours à la date de la décision du Conseil et dont l’issue dépendait de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelle.
Une des illustrations notables du pragmatisme dont fait preuve le Conseil constitutionnel en la matière tient à son aptitude à donner tous leurs effets utiles à ses décisions malgré la carence ou l’inertie du législateur dans l’exécution des décisions d’inconstitutionnalité qu’il peut rendre. Plusieurs décisions récentes, du 5 avril 2019 et du 21 mai 2021, rendues à propos du droit reconnu à tout justiciable d’obtenir le remboursement de ses frais de justice méritent d’être évoquées à ce sujet.
En 2011, la Conseil constitutionnel constatait d’abord l’inconstitutionnalité de l’article 800-2 du code de procédure pénale, texte qui réservait à la personne poursuivie qui a fait l’objet d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement la possibilité de demander une indemnité au titre des frais exposés pour sa défense sans reconnaître ce droit à l’ensemble des parties appelées au procès pénal qui, pour un autre motif, n’ont fait l’objet d’aucune condamnation. Le Conseil décidait :
« Considérant que l’abrogation de l’article 800-2 du code de procédure pénale aura pour effet, en faisant disparaître l’inconstitutionnalité constatée, de supprimer les droits reconnus à la personne poursuivie qui a fait l’objet d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement ; que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement ; que, par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la date de l’abrogation de cet article afin de permettre au législateur d’apprécier les suites qu’il convient de donner à cette déclaration d’inconstitutionnalité » (QPC du 13 janvier 2011, no du 21 octobre 2011).
Malgré le constat de l’inconstitutionnalité de l’article 800-2 par la décision du Conseil constitutionnel du 21 octobre 2011, la nouvelle version du texte instaurée par une loi du 1er janvier 2013 fut de nouveau jugée inconstitutionnelle aux motifs que « lorsque la personne poursuivie a été condamnée, ni ces dispositions ni aucune autre ne permettent à la personne citée comme civilement responsable d’obtenir devant la juridiction pénale le remboursement de tels frais, alors même qu’elle a été mise hors de cause ».
Le Conseil a donc décidé de conférer lui-même au juge pénal le pouvoir d’allouer les frais de justice aux parties dont le texte les en privait, au besoin sur le seul fondement de sa décision. Tout en reportant à une certaine date l’effet de l’abrogation, le Conseil constitutionnel a pris en effet dans le même temps une mesure assez radicale destinée à assurer l’efficience, en tout état de cause, de sa décision, en énonçant que « afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger, pour les décisions rendues par les juridictions pénales après cette date, que les dispositions du premier alinéa de l’article 800-2 du code de procédure pénale doivent être interprétées comme permettant aussi à une juridiction pénale prononçant une condamnation ou une décision de renvoi devant une juridiction de jugement, d’accorder à la personne citée comme civilement responsable, mais mise hors de cause, une indemnité au titre des frais non payés par l’État et exposés par celle-ci ». (Cons. Const., 5 avr. 2019, n° 2019-773 QPC)
On retrouve le même type de dispositions dans une décision récente ayant jugé inconstitutionnel l’article 541 du code de procédure pénale qui prévoyait « que la personne citée directement par la partie civile à comparaître devant le tribunal de police ne peut, dans la même instance, demander que cette dernière soit condamnée, en cas de relaxe, au paiement de dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile » alors que cette possibilité était ouverte à la personne directement citée devant le tribunal de police en cas de désistement de la partie civile, ainsi qu’au prévenu relaxé en appel.
Le Conseil a décidé qu’ « afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi et, au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2021, lorsque la partie civile a elle-même mis en mouvement l’action publique, le tribunal de police statue par le même jugement sur la demande en dommages-intérêts formée par la personne relaxée contre la partie civile pour abus de constitution de partie civile » (Cons. Const., 26 mai 2021, n° 2021-909 QPC).
Ces décisions-ce ne sont pas les seules- traduisent une préoccupation qui n’était pas directement exprimée par les auteurs de la loi organique instituant la QPC. Alors que ceux-ci avaient surtout souhaité donner au Conseil constitutionnel les moyens de reporter dans le temps, pour des raisons de sécurité juridique, l’abrogation que constitue la déclaration d’inconstitutionnalité, les présentes décisions montrent que le souci du Conseil constitutionnel est de leur assurer un effet utile et immédiat, indépendamment de l’intervention du législateur.
On ne peut que s’en féliciter, car s’il revient en principe à la loi seule de réparer les déficiences textuelles nées du constat d’une inconstitutionnalité, nombreuses sont les causes susceptibles sinon de paralyser l’action législative, en tout cas de l’empêcher d’opérer avec la célérité ou l’efficacité que requiert l’ajustement permanent de nos normes juridiques sur les droits fondamentaux reconnus par la Constitution.